jeudi 14 décembre 2006

Le clown jette son masque à terre...

et saute dessus à pieds joints :
L'heure est trop grave pour la passer sous silence...

Je tiens à remercier Mlle Sandrine Herman, brillante historienne d'art, pour m'avoir alerté sur ce sujet.

Je vous transmets dans leur intégralité les deux articles suivant :

1/ Les musées ne sont pas à vendre - Le Monde - 13 décembre 2006
2/ Appel à pétition - La Tribune de l'Art - 14 décembre 2006

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1/ Les musées ne sont pas à vendre, par Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht
LE MONDE | 12.12.06 | 13h39 • Mis à jour le 12.12.06 | 13h39

Jusqu'à présent, le monde des musées français était envié pour l'exceptionnel soutien dont il bénéficie de la part de l'Etat et des municipalités. Il l'était par exemple aux Etats-Unis, où un seul musée est national, celui de Washington. Tous les autres dépendent majoritairement de l'argent privé.
Bien sûr les musées français savaient obtenir occasionnellement une aide provenant du mécénat privé, en particulier pour les expositions plus prestigieuses ; et il faut saluer cette nouvelle loi qui propose de fortes exemptions fiscales aux entreprises et personnes privées qui donnent des oeuvres d'art importantes, ou de l'argent pour les acquérir. Nous avons aussi souvent, en échange de mécénat, organisé pour le Japon ou Taïwan, pays pauvres en art occidental, des expositions à caractère scientifique, conçues par les conservateurs français.

Pourtant, hormis le Musée Guggenheim de New York, qui fut le désastreux pionnier de l'exportation payante de ses collections dans le monde entier, et se vante d'être un "entertainment business", l'éthique des musées outre-Atlantique et du reste de l'Europe demeure jusqu'à présent irréprochable, mettant au premier plan les devoirs concernant les collections, la recherche, leur enrichissement, le travail scientifique des conservateurs, le rôle éducatif de l'institution, le respect du public, bref, les codes déontologiques des musées publiés par l'ICOM (Conseil international des musées).

Philippe de Montebello, directeur du Metropolitan Museum de New York, avait déjà, en septembre 2003, lancé un avertissement sévère sur la commercialisation effrénée du patrimoine public, en particulier par le système des "loan fees" (prêts payants) d'oeuvres et la tendance de certains musées à s'orienter vers les "marchés culturels" et les "parcs de loisirs". Ils risquent, avait-il ajouté, "d'y perdre leur âme".

Aujourd'hui, avec l'exemple de l'opération du Louvre à Atlanta, où des tableaux qui comptent parmi les plus grands chefs-d'oeuvre des collections comme le Et in Arcadia Ego de Poussin, le Baldassare Castiglione de Raphaël ou Le Jeune Mendiant de Murillo, ont été déposés dans la riche cité du Coca-Cola, pour un an ou trois mois, selon les oeuvres, en échange de 13 millions d'euros.

Nous ne méprisons ni l'argent, ni le mécénat, ni l'Amérique, comme l'on risque très rapidement de nous en accuser ! Mais tout cela peut nous entraîner dans une déviance que nul ne pourra bientôt plus limiter. Sur le plan moral, l'utilisation commerciale et médiatique des chefs-d'oeuvre du patrimoine national, fondements de l'histoire de notre culture et que la République se doit de montrer et de préserver pour les générations futures, ne peut que choquer. Et puis pourquoi les sept millions de visiteurs annuels du Louvre, payants pour la grande majorité, devraient-ils être privés de ces oeuvres si longtemps ? Il est facile et injuste de mépriser un public à cause de son engouement monomaniaque pour La Joconde. Nombreux, fort heureusement, sont ceux qui vont découvrir autre chose.

La permanence de certains chefs-d'oeuvre qui forment les collections d'un musée est une exigence que peut avoir tout visiteur. La quête de manne financière à laquelle pousse le nouveau statut des grands musées français peut expliquer certaines dérives, mais, fort heureusement, tous n'y cèdent pas.





Le pire est encore à venir.

L'exemple actuel d'Abou Dhabi est alarmant. Ce pays d'à peine 700 000 habitants se propose de construire, dans un site touristique et balnéaire afin d'en augmenter l'attractivité, quatre musées, dont un inévitable Guggenheim, et un "français", portant la griffe "Louvre", mais obligeant à des prêts à long terme tous nos grands musées, dont les responsables n'auront plus leur mot à dire. Ce sont nos responsables politiques qui sont allés offrir ce cadeau royal et diplomatique. Contre près de 1 milliard d'euros... N'est-ce pas cela "vendre son âme" ?

Et qu'en est-il des intérêts réciproques avec la Chine ou l'Inde ? Une annexe du Musée national d'art moderne à Shanghaï semble être envisagée, alors que l'espace actuel du musée dans Beaubourg interdit de déployer ses collections, pour la plupart en réserve, qui feraient de lui, s'il y avait à Paris l'espace qu'elles méritent, l'un des deux plus beaux et des plus grands musées d'art moderne du monde, avec le MOMA de New York.

L'ensemble des grands musées français et européens ont résisté à ces expansions ou locations commerciales et médiatiques et les désapprouvent. Tout comme s'y opposent la plupart des conservateurs français, contraints à un devoir de réserve contestable sur des sujets qui sont pourtant l'essence de leur métier. Bien sûr, il faut prêter des oeuvres d'art si leur état le permet et si leur sécurité est garantie, mais gratuitement, et dans le cadre de manifestations qui apportent une contribution à la connaissance et à l'histoire de l'art. C'était, jusqu'à présent, un impératif moral et scientifique.

Selon quel principe, soucieux de la conservation et de la mise en valeur des collections patrimoniales, devrait-on utiliser les oeuvres d'art comme des monnaies d'échange ? Les enjeux politiques et diplomatiques doivent-ils primer sur toute autre considération et entraîner des dépôts payants d'oeuvres essentielles au patrimoine d'un pays ? Serions-nous le seul pays d'Europe à l'envisager ?

Et imiter les locations de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg à Las Vegas par exemple, pour pouvoir payer ses employés ?




Qu'avons-nous en France de mieux à offrir que nos trésors d'art, qui attirent chaque année une grande partie des 76 millions de touristes, les plus nombreux du monde ? Que l'on puisse rêver d'un monde où circuleraient librement les hommes et les biens de consommation est légitime. Mais les objets du patrimoine ne sont pas des biens de consommation, et préserver leur avenir, c'est garantir, pour demain, leur valeur universelle.

Françoise Cachin est directeur honoraire des Musées de France ;
Jean Clair est conservateur général honoraire et écrivain ;
Roland Recht est professeur au Collège de France.
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2/ Appel à Pétition

Le Monde d'hier, daté du 13 décembre 2006, a publié un texte, Les musées ne sont pas à vendre, signé par Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht, dénonçant les récentes dérives des musées français, et du Louvre en particulier.

Les auteurs y parlent de l'opération du Louvre à Atlanta en soulignant que « sur le plan moral, l'utilisation commerciale et médiatique des chefs-d'oeuvre du patrimoine national, fondements de l'histoire de notre culture et que la République se doit de montrer et de préserver pour les générations futures, ne peut que choquer ».

Ils s'inquiètent surtout du projet d'Abou Dhabi : « Ce sont nos responsables politiques qui sont allés offrir ce cadeau royal et diplomatique. Contre près de 1 milliard d'euros... N'est-ce pas cela "vendre son âme" ? ». Ils soulignent - et ils sont bien placés pour le savoir - que « s'y opposent la plupart des conservateurs français, contraints à un devoir de réserve contestable sur des sujets qui sont pourtant l'essence de leur métier », ce que je n'ai cessé d'écrire.

Ils concluent enfin : « Que l'on puisse rêver d'un monde où circuleraient librement les hommes et les biens de consommation est légitime. Mais les objets du patrimoine ne sont pas des biens de consommation, et préserver leur avenir, c'est garantir, pour demain, leur valeur universelle. »

De nombreux lecteurs m'ont écrit, depuis des mois, pour demander à La Tribune de l'Art de lancer une pétition pour protester contre les projets actuels de délocalisation des collections, que ce soit à Lens, à Atlanta, à Abu Dhabi, à Shangaï (Centre Pompidou) ou à Salvador de Bahia (Musée Rodin). Or, une pétition ne peut fonctionner que si elle s'appuie sur un nombre suffisant de signatures. Les conditions n'étaient pas réunies pour obtenir celles des conservateurs et autres fonctionnaires du Ministère de la Culture.
Aujourd'hui, chacun peut se retrouver autour de cette prise de position due à trois historiens d'art prestigieux. Tous ont eu la responsabilité de grands musées et Françoise Cachin était encore récemment Directrice des Musées de France.

Je lance donc un appel à tous les lecteurs de La Tribune de l´Art d'accord avec ce texte de s'y associer et de demander à nos responsables politiques que l´on cesse de prendre les musées français, et le Louvre en particulier, pour un réservoir d'oeuvres qu'on pourrait utiliser pour des raisons politiques, diplomatiques ou financières.

Merci d´envoyer un mail à l'adresse :
petition.musees@laposte.net

contenant le texte suivant (vous pouvez faire un copier-coller) :
« Je partage entièrement les opinions émises par Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht dans l'article intitulé : « Les musées ne sont pas à vendre » paru dans Le Monde daté du 13 décembre 2006 et je souhaite que l'on maintienne l'intégrité des collections des musées français. »

et signé de vos noms et prénoms, de votre adresse (au moins la ville) et, si vous le souhaitez, de vos qualités. Seul votre nom, votre ville et vos qualités apparaîtront sur la pétition.

Didier Rykner - La Tribune de l'Art.
(le 14 décembre 2006)

12 commentaires:

Anonyme a dit…

Où peut on signer ?

Anonyme a dit…

comme exprimé chez Cath, le dilemme existe, car quelle différence entre remerciements à un mécénat et location d'oeuvre.

par contre si l'exposition répond à une démarche culturelle et organisée par les conservateurs sans pression politico économiques, là j'approuve et signe

Cyril de Sagazan a dit…

Il vrai que le post est long et que la concentration n'est pas facile jusqu'au bout, alors petite précision :

pour la pétition il suffit :
d´envoyer un mail à l'adresse :
petition.musees@laposte.net

mettre en objet : Pétition, Les musées ne sont pas à vendre

contenant le texte suivant (vous pouvez faire un copier-coller) :
« Je partage entièrement les opinions émises par Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht dans l'article intitulé : « Les musées ne sont pas à vendre » paru dans Le Monde daté du 13 décembre 2006 et je souhaite que l'on maintienne l'intégrité des collections des musées français. »

et signé de vos noms et prénoms, de votre adresse (au moins la ville) et, si vous le souhaitez, de vos qualités. Seul votre nom, votre ville et vos qualités apparaîtront sur la pétition.

La caution morale des intervenants, dont je me porte garant, et principalement Françoise Cachin m'a suffit à croire en la véracité des propos en dehors de toutes polémiques partisanes.

Billedeclownment heureux si je peux vous compter parmi les pétitionnaires.

Anonyme a dit…

A voté !

Anonyme a dit…

A voté également. Enfin, signé. :)

Anonyme a dit…

Mon dilemme pour le vote est résolu, j'ai voté.
Toutefois, je suis mal à l'aise lorsqu'on me parle du patrimoine des musées français.
De nombreuses œuvres furent acquises à coups de sabre et de canons.
Sauvegardées, conservées certes, alors pourquoi ne pas faire financer par les possesseurs de $ cette charge et partager ce patrimoine de l'humanité.
Qu'il soit édicté des règles dont la première soit que ce partage soit sous la responsabilité d'un comité "d'éthique".
Mais les politiques et les lobbys savent agir insidieusement.

Cyril de Sagazan a dit…

Parce que mon cher ami Archigram, il ne s'agit pas ici de partage, mais de spoliation à titre quasi privatif car dans le cas de ce type de location, la destination de l'oeuvre n'est pas d'être exposée au public (contrairement au partage de la culture et la connaissance autour d'un comité scientifique - les conservateurs entre autres -qui aura inscrit cette "exposition" dans ce contexte thématique ou historique) mais réservée à soit orner des salons privés, sans contrôle possible sur l'oeuvre elle-même et le discours lié à cette oeuvre et son mode de préservation et de conservation, soit à des comités restreints, dans les mêmes conditions que ci-avant exposées...

Au risque de voir, à l'excès mais vous me connaissez, dans le salon d'un émir douteux, la Joconde accrochée au baldaquin kitsch, en ciel de lit avec pour mention... "La salope de l'occident" uniquement par le fait que se soit un symbole que leurs dollars peuvent se payer (avec notre tête !).

Billedeclownment vôtre !

JC a dit…

Moi je n'aurais pas pris l'exemple d'un richissime émir pour "la salope de l'occident", mais celui d'un texan avec en sous-titre "une peureuse de la vieille europe".

En tout cas, je suis pour que les oeuvres circulent, d'autant que leurs propriétés est souvent douteuse. Mais à condition qu'elles soient évidemment accessibles au plus grand nombre.

Anonyme a dit…

Bille de clown t'as rien de marrant malgré ton nom. Ton discour est très négatif et limite raciste.
Dit toi que dans ces pays il existe peut être des gens qui pensent que l'art ne sert pas juste à se payer des trophées. En tous cas arrêtes de tous mettre sur le même plan.
La vie n'est pas aussi lisse que ton crane chauve

BobleuOuf

Cyril de Sagazan a dit…

@ "anonyme" ou "BobleuOuf" ???
Merci de ce commentaire qui me touche vraiment par sa simplicité, son courage et son anonymat !

Je crois que tu as raté quelques marches dans le sujet... mais comme il pèche par sa longueur, je t'en excuse...

Si tu as d'autres commentaires (de soutien à la langue de bois ?), reviens donc nous faire partager ton éloquence, ta vision des choses...
Tes commentaires ne seront jamais filtrés ici, car qui accepte de publier son point de vue, doit en accepter la critique... même si l'auteur parfois cherche en quoi elle peut être constructive quand le sujet s'y prête.

Bonne année à toi !!!

Anonyme a dit…

BDC, laisse tomber : il n'a rien compris, ni à ton billet, ni à la démarche.

Il n'est pas question de priver qui que ce soit d'admirer nos oeuvres ou nos collections, puisqu'en l'occurrence, les expos à thème tournent sans arrêt autour du monde, dans tous les musées et galeries décidant d'organiser une expo et s'en donnant les moyens (sur les impressionistes, les surréalistes, etc...), notamment énormément au Moyen Orient et en Asie.

Ce dont il est question ici, c'est de la privatisation d'expos. Tout bonnement.
Aux "riches sur sélection" tout à fait léonine de voir les oeuvres et les autres restent dehors, mm s'ils peuvent se payer le ticket.

Je l'ai bien descendu ?
Tu vas voir que moi aussi je vais me faire traiter de chienne fasciste :))

Cyril de Sagazan a dit…

Ah Cath merci... je me sens moins seul désormais... J'avoue qu'il m'a quand même mis un coup au moral celui-là... mais l'ignorance est pardonnable, la bêtise nullement... alors par pitié, je le préfère ignorant cet anonyme.

Mille bisous à Toi.