L'heure est trop grave pour la passer sous silence...
Je tiens à remercier Mlle Sandrine Herman, brillante historienne d'art, pour m'avoir alerté sur ce sujet.
Je vous transmets dans leur intégralité les deux articles suivant :
1/ Les musées ne sont pas à vendre - Le Monde - 13 décembre 2006
2/ Appel à pétition - La Tribune de l'Art - 14 décembre 2006
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1/ Les musées ne sont pas à vendre, par Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht
LE MONDE | 12.12.06 | 13h39 • Mis à jour le 12.12.06 | 13h39
Jusqu'à présent, le monde des musées français était envié pour l'exceptionnel soutien dont il bénéficie de la part de l'Etat et des municipalités. Il l'était par exemple aux Etats-Unis, où un seul musée est national, celui de Washington. Tous les autres dépendent majoritairement de l'argent privé.
Bien sûr les musées français savaient obtenir occasionnellement une aide provenant du mécénat privé, en particulier pour les expositions plus prestigieuses ; et il faut saluer cette nouvelle loi qui propose de fortes exemptions fiscales aux entreprises et personnes privées qui donnent des oeuvres d'art importantes, ou de l'argent pour les acquérir. Nous avons aussi souvent, en échange de mécénat, organisé pour le Japon ou Taïwan, pays pauvres en art occidental, des expositions à caractère scientifique, conçues par les conservateurs français.
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Philippe de Montebello, directeur du Metropolitan Museum de New York, avait déjà, en septembre 2003, lancé un avertissement sévère sur la commercialisation effrénée du patrimoine public, en particulier par le système des "loan fees" (prêts payants) d'oeuvres et la tendance de certains musées à s'orienter vers les "marchés culturels" et les "parcs de loisirs". Ils risquent, avait-il ajouté, "d'y perdre leur âme".
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Le pire est encore à venir.
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Et qu'en est-il des intérêts réciproques avec la Chine ou l'Inde ? Une annexe du Musée national d'art moderne à Shanghaï semble être envisagée, alors que l'espace actuel du musée dans Beaubourg interdit de déployer ses collections, pour la plupart en réserve, qui feraient de lui, s'il y avait à Paris l'espace qu'elles méritent, l'un des deux plus beaux et des plus grands musées d'art moderne du monde, avec le MOMA de New York.
L'ensemble des grands musées français et européens ont résisté à ces expansions ou locations commerciales et médiatiques et les désapprouvent. Tout comme s'y opposent la plupart des conservateurs français, contraints à un devoir de réserve contestable sur des sujets qui sont pourtant l'essence de leur métier. Bien sûr, il faut prêter des oeuvres d'art si leur état le permet et si leur sécurité est garantie, mais gratuitement, et dans le cadre de manifestations qui apportent une contribution à la connaissance et à l'histoire de l'art. C'était, jusqu'à présent, un impératif moral et scientifique.
Selon quel principe, soucieux de la conservation et de la mise en valeur des collections patrimoniales, devrait-on utiliser les oeuvres d'art comme des monnaies d'échange ? Les enjeux politiques et diplomatiques doivent-ils primer sur toute autre considération et entraîner des dépôts payants d'oeuvres essentielles au patrimoine d'un pays ? Serions-nous le seul pays d'Europe à l'envisager ?
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Qu'avons-nous en France de mieux à offrir que nos trésors d'art, qui attirent chaque année une grande partie des 76 millions de touristes, les plus nombreux du monde ? Que l'on puisse rêver d'un monde où circuleraient librement les hommes et les biens de consommation est légitime. Mais les objets du patrimoine ne sont pas des biens de consommation, et préserver leur avenir, c'est garantir, pour demain, leur valeur universelle.
Françoise Cachin est directeur honoraire des Musées de France ;
Jean Clair est conservateur général honoraire et écrivain ;
Roland Recht est professeur au Collège de France.
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2/ Appel à Pétition
Le Monde d'hier, daté du 13 décembre 2006, a publié un texte, Les musées ne sont pas à vendre, signé par Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht, dénonçant les récentes dérives des musées français, et du Louvre en particulier.
Les auteurs y parlent de l'opération du Louvre à Atlanta en soulignant que « sur le plan moral, l'utilisation commerciale et médiatique des chefs-d'oeuvre du patrimoine national, fondements de l'histoire de notre culture et que la République se doit de montrer et de préserver pour les générations futures, ne peut que choquer ».
Ils s'inquiètent surtout du projet d'Abou Dhabi : « Ce sont nos responsables politiques qui sont allés offrir ce cadeau royal et diplomatique. Contre près de 1 milliard d'euros... N'est-ce pas cela "vendre son âme" ? ». Ils soulignent - et ils sont bien placés pour le savoir - que « s'y opposent la plupart des conservateurs français, contraints à un devoir de réserve contestable sur des sujets qui sont pourtant l'essence de leur métier », ce que je n'ai cessé d'écrire.
Ils concluent enfin : « Que l'on puisse rêver d'un monde où circuleraient librement les hommes et les biens de consommation est légitime. Mais les objets du patrimoine ne sont pas des biens de consommation, et préserver leur avenir, c'est garantir, pour demain, leur valeur universelle. »
De nombreux lecteurs m'ont écrit, depuis des mois, pour demander à La Tribune de l'Art de lancer une pétition pour protester contre les projets actuels de délocalisation des collections, que ce soit à Lens, à Atlanta, à Abu Dhabi, à Shangaï (Centre Pompidou) ou à Salvador de Bahia (Musée Rodin). Or, une pétition ne peut fonctionner que si elle s'appuie sur un nombre suffisant de signatures. Les conditions n'étaient pas réunies pour obtenir celles des conservateurs et autres fonctionnaires du Ministère de la Culture.
Aujourd'hui, chacun peut se retrouver autour de cette prise de position due à trois historiens d'art prestigieux. Tous ont eu la responsabilité de grands musées et Françoise Cachin était encore récemment Directrice des Musées de France.
Je lance donc un appel à tous les lecteurs de La Tribune de l´Art d'accord avec ce texte de s'y associer et de demander à nos responsables politiques que l´on cesse de prendre les musées français, et le Louvre en particulier, pour un réservoir d'oeuvres qu'on pourrait utiliser pour des raisons politiques, diplomatiques ou financières.
Merci d´envoyer un mail à l'adresse :
petition.musees@laposte.net
contenant le texte suivant (vous pouvez faire un copier-coller) :
« Je partage entièrement les opinions émises par Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht dans l'article intitulé : « Les musées ne sont pas à vendre » paru dans Le Monde daté du 13 décembre 2006 et je souhaite que l'on maintienne l'intégrité des collections des musées français. »
et signé de vos noms et prénoms, de votre adresse (au moins la ville) et, si vous le souhaitez, de vos qualités. Seul votre nom, votre ville et vos qualités apparaîtront sur la pétition.
Didier Rykner - La Tribune de l'Art.
(le 14 décembre 2006)